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Quand les yeux affolent les papilles

La présentation d’un plat ne ferait pas seulement office d’artifice mais serait un facteur déterminant dans la cuisine. L’esthétisme est-il devenu un élément prépondérant dans la gastronomie ?

Nous mangeons d’abord avec les yeux. C’est une évidence, le premier regard que l’on pose sur son assiette ouvre l’appétit.

«Il doit y avoir un équilibre harmonieux, il faut aussi qu’on arrive à se faire une idée de ce qu’on va manger car le plaisir de la dégustation commence par l’imagination» déclare Frank Xu, Chef du Tsé Fung à Genève. Dans un restaurant, l’aspect visuel donne envie au client de déguster un plat ou pas. Selon Julia Csergo, co-auteur de L’artification du culinaire, «il existe bel et bien un lien entre le fonctionnement du cerveau et celui des papilles».

Le visuel n’a jamais eu autant d’importance dans le secteur alimentaire. Comme le dit Julia Csergo «La cuisine est devenue un art comme l’est la peinture, la musique ou la littérature dans le sens où elle transforme la matière et exige un savoir-faire. Le cuisinier est passé du statut de domestique à celui d’artiste et même parfois de star». Effectivement, il existe dans la gastronomie des réalisations d’exception et de plus en plus souvent ce sont des photos qui attirent le client dans un établissement. Le «foodie», l’amateur de bonne cuisine qui teste les restaurants et qui fait publiquement connaître son avis, est de nos jours très répandu.

Cela peut sembler inné chez un cuisinier et pourtant le design culinaire demande un travail conséquent. «Chacun a sa méthode, réalise des essais comme un peintre, fait des esquisses, puis il améliore sa création, expérimente jusqu’à obtenir l’expression parfaite de ce qu’il souhaite», poursuit Julia Csergo. Pour Eric Canino, chef du restaurant étoilé La Voile à Ramatuelle, «le côté esthétique dans la cuisine passe par plusieurs étapes, dont celle qui se porte sur le choix des artifices. Pour décorer mes plats, je me sers essentiellement de légumes et d’herbes aromatiques. Les idées me viennent avec les saisons». Souvent, la cuisine s’imprègne de la nature pour y apporter une certaine réalité. La couleur procure de la luminosité et elle est déterminante pour nous faire saliver. Les formes sont très étudiées car elles nous renvoient fréquemment à un élément de comparaison. La texture et la présentation sont des facteurs primordiaux dans l’assiette car ils ont le pouvoir de tout changer. En séparant ou mélangeant des aliments, la sensation en bouche peut être littéralement différente.

Evidemment, la gastronomie n’est pas faite que de l’aspect visuel. Le côté esthétique intervient surtout au moment de la découverte d’une assiette mais très vite les papilles reprennent le dessus. Le chef Philippe Durandeau, du restaurant Le Loti à Genève, sait pertinemment que «si l’on se préoccupe uniquement de l’esthétique, on peut très vite oublier d’apporter les saveurs indispensables de certains plats». Comme le reconnaît Marc Bretillot, designer culinaire, créateur de cette discipline qu’il enseigne à l’école supérieure d’art et de design à Reims, «L’art dans la cuisine est tout un ensemble. Il y a la vue mais également le goût et l’odorat». A ce sujet, la cuisine familiale est un excellent exemple. Le pot-au-feu ou le hachis parmentier de notre grand-mère n’ont pas toujours un aspect attirant et pourtant, bien cuisinés, leur saveur n’est plus à prouver! Dans ses réalisations, Jérôme Banctel, à la tête du restaurant parisien Le Gabriel, a une priorité, celle de la technique. «Le côté esthétique est important mais ce n’est pas ce qui m’importe le plus. Je suis avant tout un chef qui veut utiliser dans ses plats un procédé irréprochable et bien souvent il ne se voit pas. Par exemple, je fais mariner mes produits. C’est invisible et pourtant, pour moi, c’est essentiel». La contemplation ne doit donc pas faire oublier le goût qui reste l’élément fondamental dans la cuisine. L’esthétisme a ce pouvoir d’ajouter à la gastronomie une dimension visuelle et spectaculaire mais, au final, ne se pose t-on pas systématiquement la question: c’est beau mais est-ce bon ? Alors que l’inverse, un peu moins!


Par Anouk Julien-Blanco

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