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- Interview -

Charles Pépin

«Ce que la beauté nous fait n’est pas superficiel»

Philosophe, écrivain et journaliste, Charles Pépin est l’auteur d’une dizaine de livres traduits dans le monde. A travers « Quand la beauté nous sauve », il nous invite à lever les yeux sur la beauté, pour MIEUX nous rencontrer.

A première vue, la beauté renvoie à la superficialité. Pourtant elle est le sujet de votre dernier essai philosophique…

Il faut distinguer la beauté du plaisir procuré par sa contemplation. «Nous sommes superficiels par profondeur», disait Nietzsche. Cela signifie que dans notre rapport à la superficialité se jouent parfois des questions profondes et ambigües. La beauté renvoie à l’apparence, mais le trouble que nous ressentons face à ce qui apparaît – tableau, paysage, musique – parle à notre complexité. «Le beau est toujours bizarre» affirmait Baudelaire. Il est vrai que nous sommes souvent surpris par ce qui nous touche, à condition d’être libres dans notre rapport à la beauté. En revanche, si nous succombons à un parfum parce que sa campagne publicitaire nous a séduit, nous ne sommes pas dans l’émotion esthétique, nous obéissons à un diktat.

Au début de votre livre, vous évoquez Kant qui voit jaillir à sa fenêtre la beauté d’une nature soudain «libérée» en raison de l’absence de son jardinier, malade. La beauté est-elle quelque chose qui s’échappe, transgresse, étonne?

Je pense qu’elle surgit souvent au milieu du quotidien, quand nous ne nous y attendons pas, si nous sommes dans un état de disponibilité. Mais l’un des problèmes de notre époque est que nous avons du mal à ouvrir nos yeux à force de les river dans nos agendas, et que nous nous laissons trop assujettir par la dictature du quotidien. Pourtant, dès que la beauté nous touche, elle nous rend tout entier présent au monde, à nous-même.

Vous dites que «la beauté nous redonne notre liberté, notre pouvoir, notre capacité à nous faire confiance, à nous écouter». Et que pour apprécier une oeuvre, mieux vaut l’aborder avec spontanéité…

Si lorsque vous vous rendez au musée vous écoutez trop attentivement le discours des guides et recherchez dans les oeuvres les explications promises, il vous sera difficile de rencontrer l’expérience esthétique. C’est pourquoi j’estime qu’il faut se méfier des érudits! Je ne dis pas qu’il ne faut pas les écouter… Le chemin de la culture et de la connaissance est légitime. Simplement il faut savoir s’affranchir de ces informations pour s’autoriser à s’écouter, soi, et oser se faire confiance.

Peut-on multiplier les occasion de rencontre avec la beauté?

Il faut juste ouvrir les yeux! Lorsque je suis dans le train pour Nantes, où je me rends souvent, je ne me lasse jamais d’admirer le paysage qui longe la Loire… alors que nombre de mes voisins sont plongés dans la lecture d’une presse people abrutissante, qui fait appel à nos pulsions négatives! Et lorsque j’arrive en avance à un rendez-vous, plutôt que de re-checker encore et encore mes e-mails, je regarde le ciel! La beauté est partout et la recevoir est du pouvoir de tous. Si nous ne nous mettons pas en condition de la voir, nous sommes responsables d’en être privés.

Le titre de votre livre : «Quand la beauté nous sauve» est à la fois optimiste et alarmant. De quoi la beauté nous sauve-t-elle?

Nous sommes sauvés de la réduction identitaire qui nous définit par un lieu, un métier, un niveau de revenu, une position sociale. Nous sommes sauvés du relativisme ironique de notre époque, qui nous rend sarcastique et nous détache de toute conviction. Dès lors que nous ne limitons pas la beauté à des codes et des dogmes, nous nous découvrons plus grand. Quand j’écoute Bach, je suis convaincu que cette beauté est folle et que l’absolu existe. Je suis sauvé de la médiocrité, ça fait du bien.

La beauté doit-elle particulièrement nous sauver, à notre époque?

Oui, je pense qu’elle est encore plus salutaire aujourd’hui car nous sommes pris dans des réseaux de représentation, dans des connections multiples qui nous empêchent d’être présents au monde. Même si les réseaux sociaux nous permettent aussi de partager de belles expériences esthétiques. Nous sommes également face à une remise en cause des repères qui augmente notre besoin de nous fier à notre intuition. L’expérience esthétique est en cela bénéfique qu’elle nous apprend à nous écouter, sans nous appuyer sur des critères ou des règles.

«La beauté nous donne le pouvoir de nous faire confiance» dites-vous. Mais si je tombe amoureuse d’un film qui est démoli par la critique, ma confiance peut s’en trouver altérée…
Renforcer sa confiance en soi implique un apprentissage de la liberté qui n’est ni facile ni confortable. Ce qui compte n’est pas ce qui fait la beauté ni ce que pensent les critiques d’art, mais ce que la beauté nous fait à nous, transforme en nous.

Quelles expériences de beauté vous ont marqué?

Elles sont multiples. Je me souviens d’expériences fortes dans les paysages de la campagne bourguignonne, alors que j’étais enfant; de la lumière de la Corse ; de Bowie, de Bach, de Ray Charles… Et j’ai eu  récemment un coup de foudre pour le chanteur Rodriguez, nommé «Sugar Man». La lecture de Hegel m’émeut également, lorsqu’il développe l’idée que la beauté est porteuse de sens et que ce rapport au sens peut être sensible. En réalité, la fréquentation de la beauté me guérit de trop de cérébralité, m’aide à m’abandonner.

Propos recueillis par Michèle Wouters - Photo: O.Marty

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