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- Art & Création -

Élise Morin

Artiste contemporaine

Du Central Saint Martins College of Art and Design de Londres à l’Université Nationale des Beaux-Arts de Tokyo en passant par les Arts Déco Paris, ÉLISE MORIN réalise un parcours à la croisée des cultures. Sensible à la nature et à l’écologie, elle n’hésite pas à convoquer les scientifiques et ingénieurs de la NASA ou du CNRS, lors de la genèse de ses projets.

Comment votre démarche artistique s’est-elle cristallisée autour de l’environnement ?
Lorsque j’étais étudiante aux Arts Déco Paris, à la fin des années quatre-vingt-dix, internet se démocratisait à peine. C’est donc avec peu d’images et d’informations en tête que je me suis rendue à Shenzhen, en Chine, pour tourner le documentaire de mon projet de fin d’études sur «  la trace de la mémoire et de l’empreinte humaine dans les villes émergeantes », à l’heure de la rétrocession hongkongaise. J’ai découvert la manufacture du paysage dans toute sa démesure à travers des villes bâties en quelques semaines, entraînant des chantiers pharaoniques et des transformations radicales, à des échelles sidérantes. Le choc esthétique fut tel qu’il a réinterrogé mes questionnements artistiques pour m’emmener sur le terrain de l’anthropocène.

À peine rentrée en France, vous êtes donc repartie ?
La Chine puis l’Asie m’avaient fascinée. J’ai passé un concours du Ministère du gouvernement japonais et obtenu une bourse de chercheuse pour quatre ans, à l’Université Nationale des Beaux-Arts de Tokyo. Mon champ de vision s’élargissait dans ce pays où les arts sont décloisonnés et les disciplines interconnectées. Petit à petit, je me suis ouverte à une autre philosophie où l’humain et l’environnement sont indissociables, où le noir est une valeur positive puisqu’il est le versant obscur de la lumière, où la hiérarchie des matériaux s’efface derrière la poésie du geste. Une philosophie du tout « mouvement, mutation, évolution, hybridation », découlant du concept d’impermanence qui structure les japonais autant qu’il nous angoisse, nous, occidentaux, habités par la notion de finitude.

Pourquoi convoquez-vous l’écologie et la science dans vos œuvres ?
Ma sensibilité me porte à inviter le sujet environnemental dans tous mes projets. Mon besoin de compréhension des phénomènes écologiques complexes m’amène à rechercher les explications scientifiques. Et les processus de production de mes installations exigent des savoirs techniques. Tout cela fait qu‘autour de chaque projet se met en place un écosystème expert, duquel l’œuvre peut ensuite basculer dans sa dimension poétique en s’incarnant en objet, en expérience, en fiction esthétique. Parfois, le challenge technique est même un levier créatif, comme pour les dunes de CD de « Waste landscape ». Nous cherchions alors une solution qui réduise la lourdeur de la construction. Les ingénieurs ont imaginé une structure ultra légère qui par le souffle d’un petit ventilateur peu gourmand en énergie, se gonflait et devenait immense, mobile, spectaculaire.

À chaque aventure artistique s’ajoute une aventure humaine ?
Oui, et cela a été très fort, par exemple, sur le projet « Water Carrier ». Zuzana Pacáková m’avait donné carte blanche pour créer une installation in situ dans la ville de Kosice, en Slovaquie, qui comme Marseille avait été désignée capitale européenne de la Culture en 2013. L’inspiration m’est venue de la rivière qui traverse la ville, car je souhaitais travailler sur la problématique de l’eau. L’œuvre a d’ailleurs pris la forme de tubes à essais dont les couleurs variaient selon l’acidité des pluies détectée par des traceurs hydrauliques. Ce projet a enthousiasmé les habitants qui suivaient sa progression à ciel ouvert, au cœur de leurs vies quotidiennes. Les lycéens sont même venus remplir les récipients. Et à la demande de tous, nous avons prolongé l’exposition de plusieurs mois.

En quoi le projet « Spring Odyssey » est si particulier ?
Depuis cinq ans, je collabore avec une biologiste végétale et des équipes du CNRS et du Laboratoire de Génétique Évolutive et d’Écologie de l’Université Paris-Saclay pour développer une plante de tabac qui rend visible la radioactivité et les phénomènes liés au stress environnemental. En tant qu’artiste, face à une problématique aussi complexe, mon rôle n’est ni de transmettre des messages ni de proposer des solutions, mais de poser le sujet sensible dans toute son incertitude, à travers une expérience esthétique.

Quelle est l’histoire de la « cabane de Walden Raft », qui flottera sur le lac d’Annecy durant l’été 2022 ?
Elle réactive la cabane que Henry David Thoreau - l’un des fondateurs de la pensée écologique - avait construite de ses mains pour y écrire l’emblématique Walden ou la vie dans les bois. Ma version, flottante, reprend les mêmes proportions que la cabane bâtie par Thoreau, pour y vivre modestement, avec les stricts objets nécessaires. Elle s’inscrit dans notre époque par sa transparence, sa flottaison et sa mobilité, qui la sortent de son statut de refuge protecteur pour l’exposer aux changements climatiques. Comme tous mes projets, elle est une invitation poétique à poursuivre, ou pas, le voyage des mutations en cours.

Propos recueillis par Michèle Wouters
© E. Morin

© Waste Landscape - E. Morin

© Film Spring Odyssey - E. Morin

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