- Mode -
Yiqing Yin,
sur le fil de l'originalité
Depuis deux ans, cette créatrice française d’origine chinoise, née à Pékin, est la plus jeune à faire partie du petit cercle de la Haute Couture internationale. Entretien avec une Artiste de la mode.
Quel est le fil conducteur de votre originalité ?
La liberté, la témérité, l’audace et l’énergie qui part du chaos pour se transformer. Pour moi l’originalité est un mouvement permanent, un voyage entre l’intérieur de soi – cet espace vierge qui ne doit pas se laisser détourner de ses intentions
originelles - et l’expression, l’extériorisation du monde intime. J’aime jouer sur les contrastes et les oppositions, créer des architectures molles, sculpter des choses très structurées avec des matières fuyantes, construire des armures souples comme des empreintes autour du corps. Je suis également fascinée par les mutations, les métamorphoses que l’on rencontre dans la nature et chez les animaux. Ces changements d’états organiques m’inspirent des créatures mystérieuses, sensuelles et indomptables.
Comment avez-vous découvert votre vocation pour la mode ?
Lorsque j’étais aux Arts Déco, je m’orientais plutôt vers la sculpture. J’avais même un à priori sur la mode, que je considérais comme une discipline futile. C’est l’exposition de Yohji Yamamoto qui a éveillé mon intérêt, puis le travail de Ann Demeulemeester et Rick Owens. Ils créent des vêtements identitaires, de ceux que l’on a besoin de remettre de temps en temps, même usés, pour se reconnecter à soi, à son histoire, à sa mémoire et à ses émotions. Cela a parlé à mon intimité car enfant, j’ai souvent été déracinée. J’ai vécu en Chine, en Australie puis en France. A chaque fois, ces changements bouleversaient mes repères jusqu’à ce que je déballe mes vêtements. Alors je retrouvais qui j’étais, partout dans le monde, face à l’inconnu.
Vous avez créé votre Maison de Couture à peine sortie de l’école et très vite, en 2015, vous avez été nommée membre permanent de la Haute Couture. Une surprise ?
Je n’aurais jamais cru que je ferais partie un jour des quatorze Maisons au monde à avoir ce privilège, aux côtés de Dior et de Chanel. Je ne l’ai pas recherché mais cela m’honore infiniment. Je me sens très investie de l’engagement qualitatif, éthique, culturel que cela représente; ainsi que de ma responsabilité dans la préservation et la transmission du patrimoine.
Vous avez habillé Audrey Tautou lorsqu’elle fut maîtresse de cérémonie au Festival de Cannes, en 2013. Comment s’est passée cette aventure ?
Ce fut une magnifique rencontre humaine avec une femme à la fois forte, sensible, authentique et originale. Toutes les marques de luxe voulaient l’habiller et elle a eu l’audace de faire confiance à la très jeune créatrice que j’étais à l’époque. Je n’avais même pas d’atelier digne de ce nom! Cette incroyable opportunité m’obligeait à être très ambitieuse en terme de création, mais nous avions vraiment peu de temps. Mon équipe et moi avons failli mourir de fatigue! La robe s’est achevée dans les coulisses, jusqu’à la dernière seconde, et son succès a fait le tour du monde.
Quels sont vos projets ?
Je suis en train de restructurer ma façon de travailler afin de ne plus subir le rythme imposé par les défilés et me rapprocher de la création artistique. C’est ainsi que je produis les plus belles choses. Je veux pouvoir continuer d’être dans la recherche, de réaliser les pièces avec mes mains, de me confronter à la matière pour en saisir les accidents. Pour moi, la haute couture est une errance artistique et sensorielle qui exige le luxe de la respiration, du silence et du temps.
Propos recueillis par Michèle Wouters
Yiqing Yin, un talent suivi de près par le Magazine La Réserve qui en 2011 déjà, consacrait un article à celle qui venait alors de remporter le Prix des Premières Collections de l’ANDAM(Association Nationale pour le Développement des Arts de la Mode) et défilait pour la première fois à la semaine de la Haute Couture à Paris, entant que membre invité.
Images
Collection Spring of Nüwa,
modèle Méduse.
© L. Laborie.
Collection Spring of Nüwa, modèle Anémone. © L. Laborie.
Collection Ouvrir Vénus,
modèle Dépouille.
© L. Laborie.
Collection Blooming Ashes,
modèle Astral/Sierra.
© S. Fuji.
Collection Blooming Ashes, modèle Astral/Tilda. © S. Fuji
Collection Blooming Ashes, modèle Sophie.
© S. Fuji.
Collection Blooming Ashes, modèle Crépuscule. © S. Fuji.
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