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- Interview -

Sarah Marquis

« La liberté est un choix de chaque instant, et de toute une vie »

Exploratrice pour le National Geographic et nommée aventurière de l’année en 2013, SARAH MARQUIS fait partie du Top 10 des géants de l’aventure. Libre, elle l’est profondément. Parce qu’elle l’a choisi. Parce qu’elle s’en donne les moyens tous les jours. Et parce qu’elle est faite pour ça, tout simplement.

Comment s’est déclenchée votre vocation d’exploratrice ?
Je suis née comme ça ! Mon premier souvenir d’exploration remonte à mes sept ans. J’étais partie seule avec mon chien et un petit sac à dos pour passer la nuit dans une grotte au milieu de la forêt. Il y avait là une grosse chauve-souris accrochée au plafond. J’ai trouvé ça sensationnel ! Mon moteur est une curiosité infinie, qui me permet de m’émerveiller de tout.

Votre enfance a-t-elle un goût de liberté ?
Oui, j’ai passé mon enfance au nord du Jura. L’environnement culturel était limité, mais la nature nous offrait tout. J’allais pêcher, chercher des champignons et des plantes médicinales avec mes parents. Je grimpais avec mes frères sur des arbres de vingt mètres de haut. La liberté et l’immersion constante dans la nature ont aiguisé mes sens, m’ont appris à connaître mes limites, à goûter l’adrénaline du danger et à développer ma confiance en moi.

Pourquoi avez-vous choisi de vous déplacer à pied ?
J’aime la simplicité et la liberté que procure la marche. Elle est le mouvement naturel de l’être humain. Celui auquel nos yeux et nos sens sont adaptés. Celui qui permet de lire correctement le décor dans lequel nous évoluons et de profiter pleinement de chaque seconde.

Comment avez-vous acquis votre immense connaissance de la nature ?
Sur le terrain. J’y ai passé ma vie. Tout est relié dans la nature, le monde végétal, animal et minéral. C’est une carte aux trésors dont il faut capter les indices. Je sais quand une plante se sent bien ou quand elle n’est pas en bonne santé. Je sais que si je croise tel oiseau je vais trouver tel arbre, ce qui signifie que le sol est rempli de sel. Et je sais que comme cet oiseau ne vole jamais à plus de cinq kilomètres à la ronde pour trouver de l’eau, je vais pouvoir en trouver également…

Quel type d’environnement vous procure les plus fortes sensations de liberté ?
J’ai parcouru la jungle, les forêts premières, les sommets enneigés… mais ce qui me parle le plus, ce sont les déserts. Dans ce dénuement, la vie apparaît dans toute son intensité, car les déserts grouillent de vie ! Y survivre réveille dans nos veines notre mémoire ancestrale et une immense sensation de liberté.


Pour profiter pleinement de la liberté d’une expédition, vous la préparez longuement ?

J’aime que mon frère s’occupe de la partie logistique, car il est très prévoyant, excellent sur le terrain et prêt à s’adapter aux changements. De mon côté, je passe un à deux ans à lire l’histoire de la région où j’ai l’intention de me rendre. J’étudie sa culture et sa pharmacopée. Il m’arrive même d’apprendre la langue. Pour mon

expédition de survie en Australie, je savais que les crocodiles d’eau salée étaient en surpopulation là où je me rendais. Je me suis rapprochée des aborigènes, qui m’ont communiqué des astuces très efficaces pour les repérer. Je vais aussi sur le terrain pour prendre des contacts et je prépare un plan d’évacuation avec un protocole précis, à suivre en cas de problème. Enfin, je me prépare physiquement, ce qui comprend l’entraînement et la nutrition pour prendre du poids avant le départ. La dernière étape est la préparation mentale, pour se détacher du monde civilisé et à un moment, « switcher » vers la vie animale. Après avoir accumulé énormément d’informations, je dois alors me vider, lâcher prise et attendre ce moment que je connais bien, où je sais que je suis prête. Avant de partir pour la Tasmanie, j’étais dans un café. Il pleuvait. Les gens n’étaient pas très sympathiques. Tout à coup je me suis sentie prête et je suis partie, avec cette impression de laisser ma peau sur la chaise où j’étais assise.

La mort, il vous arrive de la voir de près… Quelle relation entretenez-vous avec elle ?
Elle fait partie de mes journées. Je n’en ai pas peur. Lors de mes expéditions, lorsque j’ai le temps de réfléchir, je me dis que si tout doit s’arrêter demain, je suis d’accord avec le concept. Car j’ai vécu tellement de choses incroyables. J’ai mangé chaque seconde de ma vie avec une telle intensité.

Vous vous sentez libre ?
Ah oui ! La liberté est la capacité que nous nous accordons à être libre. Elle vient de l’intérieur, de nous seuls. Et elle est à portée de tous. Avec des petits pas, on peut faire beaucoup de chemin. Moi, j’ai fait le tour de la planète !

Quelle expédition vous a le plus marquée ?
La première, celle qui m’a menée du Canada au Mexique, car elle était comme un canevas blanc qui ne le sera plus jamais. Et comme au fur et à mesure de mes expéditions, je cherche toujours à aller un cran plus loin, la dernière est forcément la plus incroyable. En l’occurrence, celle qui m’a menée dans les forêts primaires de Tasmanie* au milieu d’une nature incroyablement dense, vierge de toute présence humaine, où planait l’ombre du tigre ! Et puis j’ai un attachement particulier pour mon expédition dans la région du Kimberley, en Australie. J’y ai été déposée en hélicoptère pour trois mois en survie, avec 125 grammes de farine, dans une région grouillant de crocodiles et de serpents. Cette expédition n’aurait jamais été possible sans mes 25 années d’expérience et mon excellente connaissance du terrain.

Où vous sentez-vous chez vous ?
En Australie ! Cette terre résonne en moi, je ne sais pas pourquoi. C’est organique, vibratoire, c’est chez moi !

www.sarahmarquis.ch

Propos recueillis par Michèle Wouters

Pour cette expédition de survie en Australie, il m’aura fallu plus de 20 ans d’expérience…
© J. Marquis

Expédition Tasmanie 2018.
© K. Wright

Expédition Australie de l’ouest, 3 mois en survie, 2015.
© K. Wright

© K. Wright

Expédition Tasmanie - Traversée des zones d’eau avec un Packraft gonflable.
© K. Wright

Zone alpine durant mon expédition en Tasmanie.
© K. Wright

Collecte de données pour le CSIRO sur la Biodiversité, durant l’expédition en Tasmanie.
© K. Wright

Les forêts premières de l’ouest de la Tasmanie sont de véritable musées vivants !
© K. Wright

 Être seule dans ces contrées isolées est un privilège - Tasmanie.
© K. Wright

*Un récit raconté dans « J’ai réveillé le tigre », aux éditions Michel Lafon.

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