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Être libre, est-ce
être seul ?

Seul au monde. Pour certains, c’est un luxe, que le style de vie moderne a rendu inaccessible. Pour d’autres, un vrai cauchemar. La sagesse populaire veut que « la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ». Conséquence logique, si on veut vraiment être libre, faut-il être seul ?

« L’enfer, c’est les autres » Jean-Paul Sartre

Toute l’histoire de l’humanité a évolué vers une socialisation croissante, avec des connexions de plus en plus importantes. L’historien Yuval Noah Harari explique dans son best-seller (1) comment nous les Sapiens avons dominé Néandertal grâce à cette capacité à former des groupes humains organisés et coordonnés, il y a des milliers d’années. Au XXIe siècle, les sociétés humaines ont atteint un niveau de concentration et de complexité unique. Pris dans ce réseau d’interactions sophistiqué, les Sapiens contemporains sont contraints d’abdiquer une part toujours plus grande de leur liberté pour trouver leur place dans la communauté humaine. Le philosophe Schopenhauer (2) le dit sans concessions : « on ne peut être vraiment soi qu’aussi longtemps qu’on est seul ; qui n’aime donc pas la solitude n’aime pas la liberté, car on n’est libre qu’étant seul. Toute société a pour compagne inséparable la contrainte et réclame des sacrifices qui coûtent d’autant plus cher que la propre individualité est plus marquante ». Il précise également : « Aussi la paix du cœur véritable et profonde et la parfaite tranquillité de l’esprit, ces biens suprêmes sur terre après la santé, ne se trouvent que dans la solitude et, pour être permanents, que dans la retraite absolue. » Radical.

 

DÉSIRS DE FUITE

Tous les hommes et les femmes naissent libres et égaux. Mais pour certains, l’appel de la liberté est irrépressible. L’envie de se mettre en dehors du monde aussi forte que celle de le découvrir en toute liberté. Refusant les attaches, larguant les amarres, nomades par essence, ils courent les mers, comme Mike Horn, les jungles et les déserts, comme Sarah Marquis. Tous les deux expliquent dans ce numéro à quel point cette envie de liberté leur est apparue comme une évidence, dès l’enfance. Seuls, ils se mesurent à la puissance de la nature, seuls, ils repoussent leurs limites, seuls, ils défient les dangers. Chaque départ, chaque expédition loin des autres ressemble à une bouffée d’oxygène, comme un retour à la liberté absolue. Pour mieux supporter la vie en société ?

SOLITUDE ÉPHÉMÈRE

Dans son essai « Solitude volontaire » (3), le philosophe Olivier Remaud rattache cette pratique transitoire de la solitude, que peut être une expédition solitaire au bout du monde, à une stratégie saine d’inclusion dans la société. Contrairement aux apparences, prendre le large loin du tumulte et des carcans sociaux pour un moment serait le meilleur moyen d’être un acteur engagé dans le collectif. Une parenthèse salvatrice et vitale, librement choisie. « La solitude est aussi nécessaire à la société que le silence au langage, l’air aux poumons et la nourriture au corps » écrit Olivier Remaud. à chacun de trouver le bon dosage pour se retrouver librement en tête-à-tête avec soi-même, avant de revenir parmi les humains. Les exils volontaires ne seraient que des détours éphémères bienfaisants pour mieux revivre avec les autres ensuite.

 
LA SOLITUDE N’EST PAS L’ISOLEMENT

À bien y réfléchir, beaucoup d’humains sont aujourd’hui bien plus seuls dans la foule citadine que Mike Horn sur son bateau ou Sarah Marquis dans les forêts primaires de Tasmanie. La solitude délibérée et momentanée n’a rien de la douleur d’être isolé parmi ses semblables. Même si l’on ne part pas aux antipodes, faire l’expérience de la solitude pour se retrouver soi-même reste peut-être le meilleur moyen de s’intégrer pleinement dans la société. Virginia Woolf parlait d’une « chambre à soi » en pensant à la liberté des femmes, Montaigne d’une « arrière-boutique » séparée de la société pour prendre soin de son âme et relâcher la pression. Être libre nécessiterait donc bien d’être parfois seul… provisoirement.

Par Anne-Marie Clerc

 
 
 
 
 
 

1. « Sapiens – Une brève histoire de l’humanité »,
Yuval Noah Harari, Albin Michel 2015.

2. « Aphorismes sur la sagesse de la vie »,
Arthur Schopenhauer 1851.

3. « Solitude volontaire »,
Olivier Remaud, Albin Michel 2017.

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