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- Interview -

Amélie Nothomb,

profondément originale

Âme singulière à l’inspiration intrépide, Amélie Nothomb nous livre depuis près de trente ans des romans jubilatoires, identifiables entre tous, qui ne ressemblent qu’à elle et pourtant, résonnent au plus profond de nos êtres.

Selon la définition du Larousse, l’originalité est associée à la singularité et à l’excentricité.
Êtes-vous donc originale ?

Avant d’avoir du succès, j’étais plutôt perçue comme une marginale. Tout ce qui en moi était hors norme provoquait le rejet, ce qui me plongeait dans un profond mal être. Et tout à coup, il y a eu cet accident heureux de la notoriété qui m’a amené des regards plus favorables. Je suis alors devenue originale et excentrique, ce qui m’a fait très plaisir.  

Peut-on devenir original?

Non, l’originalité n’est pas une posture. Lorsque quelqu’un veut «faire original», cela se sent et c’est très irritant. La véritable originalité ne peut être qu’authentique. En ce qui concerne le regard des autres, c’est plus compliqué. L’originalité n’est pas toujours bien acceptée. Pour ma part, j’ai été positivement perçue dès l’instant ou j’ai été publiée car tout à coup, cette particularité auparavant considérée comme regrettable est devenue souhaitable.

Votre singularité a-t-elle été douloureuse durant l’enfance et l’adolescence, qui sont des âges très conformistes ?

Surtout à l’adolescence. La grande force dont j’étais dotée durant l’enfance a totalement disparu à l’adolescence et cette période de ma vie m’a fait l’effet de durer effroyablement, ce qui m’a rendue écorchée vive. Je me souviens de paroles de rejet absolu, d’une longue solitude et d’un sentiment profond d’être pestiférée. Et puis à l’âge de dix-sept ans, j’ai commencé à écrire dans le plus grand secret car j’avais honte de ce que je faisais. Ce n’est qu’à vingt-trois ans que j’ai décidé d’assumer et d’envoyer un manuscrit à un éditeur. J’en avais déjà écrit dix, «Hygiène de l’assassin» était le onzième et le premier que j’ai montré à d’autres êtres humains que ma sœur. 

à présent votre originalité génère énormément d’amour de la part de vos lecteurs...

Oui, et cela me touche infiniment. Je pense que beaucoup de gens qui se sentent bizarres, incapables de se conformer aux normes et en souffrance se reconnaissent en moi. L’originalité est probablement beaucoup plus répandue qu’on le croit! Cela me touche énormément. Vous n’imaginez pas le nombre de lettres que je reçois, d’hommes et de femmes, jeunes et vieux, qui m’écrivent, me parlent d’eux, me demandent des conseils, parfois sur des choix totalement anodins. Ils ont besoin que je les conforte. Je les comprends et je réponds à tous. J’ai cette particularité de correspondre énormément avec mes lecteurs.

On a l’impression que l’on peut vous poser la plus originale des questions, vous allez y répondre comme si c’était la chose la plus naturelle du monde.

Oui, en effet et je vous assure que parfois, les questions de mes lecteurs sont plus que surprenantes!

La beauté aussi est une singularité, qui peut attirer de la violence car elle apparaît comme injuste. Elle est un thème récurrent chez vous…

Les beautés que j’ai rencontrées suscitaient des comportements effrayants et violents. Comme si elles devaient se justifier et être sanctionnées.

La laideur soulève également des sentiments exacerbés, pour des raisons inverses ?

Elle est aussi une sortie de la norme, pas forcément volontaire et terriblement difficile à vivre, qui suscite des réactions insensées; peut-être un peu moins dures que la beauté car mêlées de condescendance. J’ai quand même l’impression que l’extrême beauté suscite une violence plus impitoyable, impardonnable.

Aujourd’hui, comment vous sentez-vous avec vous-même ?

Très exaltée et très en danger. Je n’échangerais ma vie avec celle de personne. Je suis convaincue d’avoir l’un des destins les plus enviables et heureux au monde et en même temps, le prix à payer est une angoisse constante et un sommeil épouvantable, traversé de pensées agitées. Car tant de gens m’attendent au tournant! Heureusement, je suis une guerrière et ça me stimule.

Parvenez-vous, parfois, à atteindre la sérénité ?

Je la recherche avidement. Elle est pour moi un idéal absolu. Et lorsque je l’obtiens, juste cinq minutes, ces instants sont divins. Mais elle ne vient pas toute seule, je me donne les moyens de l’atteindre en me réveillant tous les matins à quatre heure pour écrire, aller au bout de mes passions, de mes pulsions, de ma violence intérieure, de mon énergie et de mes efforts. Et c’est seulement lorsque j’ai essoré ce trop plein de ce je ne sais quoi qui sort de moi que j’y parviens, parfois, pas toujours.

Quel est le secret d’une si vive inspiration ?

Ne jamais s’arrêter. Il ne faut pas attendre l’inspiration, il faut la provoquer et ne jamais laisser passer vingt quatre heures sans lui consacrer un minimum de quatre heures. J’ai essayé tous les horaires et de nombreuses substances. Je suis très bien tombée, ma substance est parfaitement légale: le thé fort bu à jeun en grande quantité, sans lait ni sucre, procure l’ivresse sèche et maîtrisable ainsi que l’énergie dont j’ai besoin pour écrire. 

Certains écrivains préfèrent s’arrêter et se ressourcer entre deux livres, se nourrir…

Quelle erreur, il faut pratiquer le ravitaillement en vol!  L’inspiration est un muscle. Quand on le travaille il donne le meilleur, au point d’être en souffrance s’il n’a pas le loisir de s ‘exprimer.

Etes-vous parfois angoissée à l’idée que l’inspiration se dissipe ?

Tous les matins, ma première pensée avant d’écrire est «je ne vais pas y arriver». Et dès que je commence, je perds cette angoisse, j’entre dans une sorte de jubilation.

Sur quel support écrivez-vous?  

Je n’ai pas d’ordinateur. J’écris avec un stylo bleu très basique sur des cahiers à carreaux, de préférence recyclés. Rien de tel que le matériel de mauvaise qualité. Parmi les dangers qui menacent l’écrivain, l’un des pires est la prétention. Penser que l’on est arrivé annonce la fin imminente. L’inconfort est une grande vertu, qui préserve de ce danger.

Pourquoi ne publiez-vous qu’une partie de vos romans ? 

Je suis en train d’écrire mon quatre-vingt-huitième manuscrit et de publier mon vingt-sixième roman. Ce qui est anormal est de publier, de penser, tout à coup, que ce que l’on écrit est digne d’être partagé.

Y a-t-il un lieu sur terre où vous vous êtes sentie parfaitement heureuse ?

Jamais je ne me suis sentie si bien que le 15 décembre 1989, face au mont Fuji. J’étais partie escalader le Kumotori-yama dans les Alpes japonaises et je m’étais perdue. Je savais qu’il me fallait trouver le mont Fuji pour repérer mon chemin. De cinq heures du matin à midi j’étais perdue. Je grimpais dans la neige les versants successifs en espérant le voir, ce mont Fuji. à midi pile il est apparu devant moi, énorme, d’une beauté insensée et dans un ciel parfaitement bleu. En plus, il m’indiquait mon chemin.

Votre originalité passe aussi par un look très personnel…

M’habiller le matin fut longtemps un supplice. Aujourd’hui je m’habille en Amélie Nothomb, ce qui simplifie les choses. Certains jugent mes tenues intolérables, ce qui ne me pose aucun problème.

Jamais de pantalon ?

Jusqu’à l’âge de 20 ans je n’ai porté que des jeans et des pantalons de prisonniers laotiens. Je suis passée aux robes et aux jupes le jour où je me suis aperçue que cela changeait mon visage! Je recommande d’ailleurs le port universel de la jupe à tout le monde, hommes et femmes. Elle est tellement confortable et libératrice qu’il est intolérable que les hommes n’y aient pas droit. De plus, la théorie selon laquelle il est impossible de faire du sport en jupe est totalement fausse. J’ai fait de la montagne et du parachute en jupe.

Avez-vous un rêve insensé ? 

Celui de me transformer en sterne arctique ! J’adorerais être ce superbe petit oiseau blanc au chapeau noir, qui fait deux fois par an la migration du pôle nord vers le pôle sud. Je suis fascinée par les oiseaux, par les buses également que j’observe l’été dans les Ardennes belges, volant très haut dans ciel jusqu’à ce qu’elles repèrent une proie et piquent dessus. Mais visiblement mes ambitions dépassent mes moyens, car selon mes proches je ressemble plutôt à une chouette! C’est charmant, une chouette.

Vous êtes plutôt sucré ou plutôt salé ?

Très sucré. Et en vraie belge qui se respecte, j’adore le chocolat ; pas comme un dessert, comme un véritable plat de résistance!

Je me suis laissée dire également que vous raffolez des œufs…

En effet, ils me fascinent, surtout ceux d’oies et de cannes. Cet aliment est miraculeux, aussi sublime que délicieux. J’aime autant le blanc que le jaune… et puis il est pondu par des oiseaux qui ont décidément tout bon : ils volent ce qui est mon rêve récurrent et de plus, ils se reproduisent en créant des œufs.

Qu’est-ce qui a motivé votre prise de position contre la corrida ?

J’ai conscience que la question est délicate. J’ai le plus grand respect pour la culture espagnole et je la comprends. Bien sûr que c’est un art noble, sublime ; bien sûr que le toréro risque aussi sa vie, mais il est consentant, alors que l’on n’a pas demandé son avis au taureau. Il n’y a pas d’égalité entre les deux et cela me pose un vrai problème.

Vous êtes sportive ?

Là encore, c’est un paradoxe. Je ne connais personne qui soit plus physique que moi. Je n’ai aucune limite et j’ai plus d’énergie que n’importe qui. Je peux grimper des montagnes, les descendre, sauter en parachute… mais j’ai horreur du sport. Et lorsque j’entends mes amies parler de leur plaisir à pratiquer une activité physique, je suis très inquiète. Il est clair que nous n’avons pas la même conception du plaisir ! Pour moi, celui-ci doit être un but, surtout pas sous tendu par une idée de mincir ou de se muscler. C’est pourquoi les gens qui pratiquent le sport à haute dose me laisse perplexe…

Quels objets originaux vous sont particulièrement chers ?

Je m’attache tellement à mes rouges à lèvres que je ne parviens jamais à les jeter. Je collectionne aussi les parapluies déglingués qui ont chacun leur histoire et leur nom. La pièce maîtresse de ma collection s’appelle « Hiroshima mon amour ». Elle est d’un très beau rouge et complètement déglinguée. Je suis touchée par l’invention géniale de ce petit toit portatif protégeant du soleil et de la pluie, qui a été imaginé dans plusieurs pays de la planète sans aucune connexion.

Propos recueillis par Michèle Wouters

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