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- Interview -

Hervé Le Guyader

Protéger la biodiversité est le défi de notre génération

 
 

Professeur émérite de biologie évolutive à Sorbonne Université, ancien Directeur de l’unité de recherche Systématique, Évolution, Biodiversité* et auteur de plusieurs ouvrages sur le thème de la biodiversité, Hervé Le Guyader pose sur le monde du vivant un regard de spécialiste, qui se veut optimiste.

Le mot « biodiversité » date du début des années quatre-vingt. Comment est-il né ?
Il est apparu pour la première fois dans un ouvrage destiné à la défense de l’environnement. L’idée était d’englober toute la diversité biologique en un seul terme : les gènes contenus dans les espèces, les espèces elles-mêmes et les écosystèmes. La biodiversité définit l’ensemble du vivant dans son immensité, dans cette richesse vertigineuse que nous ne cessons de découvrir. En effet, dans les années quatre-vingt nous comptabilisions un million et demi d’espèces. Aujourd’hui nous les évaluons à sept, voire huit millions !

Au milieu des discours catastrophistes sur la biodiversité, vous vous distinguez par une attitude plutôt optimiste, pour quelles raisons ?
Qu’il n’y ait aucune confusion : je ne remets absolument pas en cause les chiffres officiels démontrant l‘érosion de la biodiversité. Simplement, je trouve que l’on agit plus efficacement en regardant le verre à moitié plein. Le désastre n’est pas inéluctable. Nous avons deux à trois cents ans devant nous pour inverser le processus. C’est peu, j’en conviens, et il n’y a pas de temps à perdre. Il est vrai que si nous ne faisions rien, nos existences et celles de nombreuses espèces seraient menacées à brève échéance. Mais face à ce constat, il faut surtout rester mobilisés. L’effondrement d’une population ne signe pas son extinction mais signifie qu’il faut agir rapidement et utilement, en activant les bons leviers. Comme le dit très justement Isabelle Autissier, Présidente d’honneur du WWF, « c’est à notre génération de prendre les choses en main et il est temps de s’y mettre ». Je crois sincèrement que c’est ce qui se passe, que nous avons pris la mesure du problème et commencé d’agir, ce qui me donne des raisons d’être optimiste.

La terre a déjà vécu cinq extinctions massives, en quoi la crise que nous traversons est différente ?
Parmi ces cinq extinctions, deux furent particulièrement graves : la crise du Crétacé-Tertiaire qui a vu s’éteindre les dinosaures et la fin du « Permien » durant lequel, selon les paléontologues, 85% à 95% des espèces ont disparu. À chaque fois, le vivant a rebondi, s’est transformé, réinventé. Les mammifères, les oiseaux et pratiquement tous les vertébrés qui composent notre faune aujourd’hui résultent de ces catastrophes. Ce qui caractérise la crise que nous vivons en ce moment, c’est qu’elle est due à l’action de l’homme. Pour la première fois, c’est une espèce - nous en l’occurrence - qui transforme et impacte son environnement naturel au point de le mettre en péril.

La croissance de la population humaine risque donc d’accentuer le processus dans les années à venir ?
De très sérieuses projections réalisées par des scientifiques américains indiquent que la population humaine atteindra son pic vers l’an 2050, puis stagnera sur un plateau avant de décroître. Ces modélisations s’appuient sur des données anthropologiques et économiques solides, telles que la baisse de fertilité dans les pays occidentaux, l’évolution des mœurs en Afrique et en Inde ou encore, la diminution progressive de la pauvreté mondiale, cause principale des atteintes à l’environnement puisqu’elle amène à puiser dans les ressources de manière anarchique. La forte pression sur la biodiversité devrait donc se poursuivre durant une trentaine d’années encore, au cours desquelles il nous faudra être particulièrement vigilants pour qu’elle soit la moins destructrice possible. Puis, la situation pourrait se détendre. Ce n’est qu’un scénario, mais il est plausible.

La biodiversité est-elle plus en danger dans les zones les plus pauvres du globe ?
Oui, car l’urgence de subsistance prend le dessus sur toute autre préoccupation. Pour ne citer que les forêts, celle d’Amazonie fait l’objet d’un véritable écocide, entraînant la disparition de nombreuses populations, mais elle n’est pas la seule. Les forêts d’Afrique et d’Asie sont également exploitées de manière déraisonnable et incontrôlée.

Dans quelles régions du monde la biodiversité est-elle la plus prospère ?
S’agissant du milieu marin, c’est dans les eaux les plus froides que la biodiversité se porte le mieux. Celles de l’Arctique et de l’Antarctique sont troubles car très fournies en plancton. S’agissant du milieu terrestre, nous observons le phénomène inverse. Les régions tropicales et équatoriales accueillent une merveilleuse biodiversité végétale dont la faune profite pleinement. Les causes sont doubles. D’une part, la chaleur et l’humidité favorisent le développement des plantes. D’autre part, ces zones n’ont jamais été touchées par les grandes glaciations du quaternaire, qui s’étendaient jusqu’au golfe de Gascogne !

Parmi les espèces menacées, certaines plus que d’autres attirent notre compassion et notre mobilisation, pourquoi ?
L’aspect affectif joue beaucoup. Par exemple, l’effondrement des populations d’abeilles nous touche énormément car ces insectes nous sont familiers et sympathiques. Et c’est une excellente chose car il est urgent d’agir pour les repeupler, ce qui d’ailleurs est en train de se faire. Mais au-delà des abeilles, il conviendrait de s’occuper de tous les autres insectes pollinisateurs, car tous suivent le même mouvement. De même, côté océans, nous sommes très sensibilisés par le sort de magnifiques espèces telles que les cachalots et les dauphins, beaucoup moins par celui du plancton qui est pourtant la nourriture essentielle des animaux marins. Les exemples de ce type sont infinis, alors même que tout est lié dans nos écosystèmes. La biodiversité est une chaîne dans laquelle chaque élément compte et qu’il faut appréhender dans sa globalité, afin de ne pas en perturber l’équilibre.

Comme ce qui s’est produit en mer baltique en 2019, lorsque le développement inopiné des cabillauds a mis à mal tout un écosystème ?
Absolument, cet exemple illustre que le développement rapide d’une espèce peut entraîner la destruction de tout un écosystème. En mer baltique, le problème est survenu à la suite de l’utilisation massive d’engrais sur les côtes, qui ont fini par se déverser dans les eaux, favorisant l’apparition d’un riche plancton qui lui-même a provoqué le développement incontrôlé des cabillauds. Les phoques (espèce protégée friande de cabillauds) sont arrivés nombreux, attirés par l’abondante nourriture. Le scénario pouvait sembler réjouissant, jusqu’à ce que les bancs de sprats alimentant tout ce petit monde et victimes de la surpêche, se mettent à manquer, entraînant l’effondrement brutal de la faune de toute la zone.

Qu’en est-il des oiseaux, confirmez-vous que leurs populations repartent à la hausse ?
D’après les études des ornithologues anglais - qui sont les meilleurs au monde - les espèces européennes les plus menacées ont été protégées, ce qui a permis à leurs populations de grimper. En revanche, le nombre d’oiseaux dits « communs », auxquels il a été prêté moins d’attention, se réduit d’année en année. Quand j’étais petit, il y avait des moineaux partout dans les villes, à Paris le long des quais, sur le parvis de Notre-Dame... On n’en voit presque plus désormais. Là encore, il est urgent de s’occuper de tous les oiseaux.

Au fil de son histoire, l’homme n’a cessé de se distancier de son environnement naturel. Voyez-vous aujourd’hui le phénomène s’inverser ?
L’homme s’est surtout déconnecté du temps lié à la nature. A l’époque où il se déplaçait en mule, il vivait en communion étroite avec son milieu et avait tout loisir de l’observer finement, ce qui fut d’ailleurs à l’origine de nombreuses découvertes physiques, astronomiques, biologiques… Aujourd’hui, les défis que nous avons à relever en matière de protection de la biodiversité exigent que nous retrouvions plus de proximité, d’intimité avec le monde du vivant pour le comprendre, l’aimer, le protéger. Ils nous obligent aussi à nous reconnecter aux rythmes de la nature, à réfléchir à notre condition humaine et à notre projet de société. En cela, l’aventure qui nous attend est autant philosophique que scientifique.

*L’Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité est commun au CNRS, au Musée National d’Histoire Naturelle, à Sorbonne Université, à l’École Pratique des Hautes Études et à l’Université des Antilles. Hervé Le Guyader est auteur de nombreux ouvrages dont L’aventure de la biodiversité et Biodiversité : le pari de l’espoir aux éditions Le Pommier.


Propos recueillis par Michèle Wouters
Photos © J. Norwood



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