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Jacques Rougerie, l'architecte des mers

Passionné réaliste, rêveur pragmatique, visionnaire devenu le réalisateur de ses projets, Jacques Rougerie a parcouru le monde, rencontré les peuples de l’eau, multiplié les séjours subaquatiques et uni ses deux passions - l’architecture et l’océanographie - en y consacrant sa vie. Cet homme devenu «mérien» ne cesse de s’émerveiller avec lucidité, de regarder le monde autrement pour imaginer celui de demain.

Vous pensez l’océan comme une aventure, la grande expédition du XXIe siècle: qu’est-ce qui vous fascine autant dans l’exploration océanographique et à quel moment avez-vous commencé à vous passionner pour ce monde sous-marin?

L’océan me fascine depuis toujours. Je suis né à Paris, mais j’ai vécu les dix premières années de ma vie en Côte d’Ivoire, à Abidjan où mes premiers regards se sont portés sur la mer, le vent, les vagues, les grandes plages africaines, les pêcheurs, les pirogues… L’océan constituait mon horizon et ma fascination pour celui-ci ne s’explique pas, elle est naturelle. Quant au monde sous-marin, ce sont mes premières lectures, les récits et l’entourage d’un père explorateur qui me le font découvrir.

Quelles rencontres furent déterminantes et à quel moment avez-vous mis vos deux passions - l’architecture et l’océanographie - au service de l’exploration sous-marine, de la science et de l’humanité?

J’ai rencontré Jacques-Yves Cousteau en 1956, lors de la première projection de son documentaire Le monde du Silence. Je découvre alors un univers qui devient la source d’une nouvelle fascination. Plus tard, j’entre à l’Ecole des Beaux-arts puis entreprends un cycle d’études à l’Institut Océanographique de Paris, intègre l’Université d’Urbanisme de Vincennes et l’Ecole des Arts et Métiers pour devenir, en 1972, architecte et unir ces deux domaines de prédilection. J’ai eu la chance inouïe de vivre à un moment, dans l’histoire de l’humanité, où mes passions se sont mélangées à l’évolution de celle-ci.

Dans le discours que vous avez prononcé lors de votre installation au sein de l’Académie des Beaux-Arts de l’Institut de France, vous avez dit que «l’architecte doit sublimer la curiosité et la passion des autres»: avant de sublimer celles des autres, ne doit-il pas sublimer les siennes?

Oui… bien sûr. C’est très important. La passion est essentielle et doit être au cœur de toute aventure. C’est elle qui vous fait vibrer, qui donne du sens à votre vie, qui vous apporte une certaine fierté. C’est le mélange de tous ces ingrédients qui fait que vous vous surpassez. Tous les enfants du monde ont un rêve et puis, la vie, la société, certaines rencontres vous en éloignent, vous formatent et vous finissez par vous mentir et vous tromper. Il faut donc surmonter toutes ces difficultés et retrouver la force qui vous pousse et vous permet de faire des choses exceptionnelles.

S’émerveiller de la beauté du monde est-il indispensable pour imaginer et conduire de nouveaux projets?

Oui, mais il faut rester lucide et ne pas être naïf. Il y a une beauté du monde, qu’il faut savoir apprécier et sublimer, mais il ne faut pas oublier la dureté de ce même monde. Grace à mes parents, j’ai toujours voyagé. J’ai découvert des cultures tellement différentes. Leurs mélanges font la beauté du monde qui me touche profondément. Les capacités à inventer, à concevoir de nouvelles technologies font le génie humain mais il ne faut pas oublier que si l’homme est capable du meilleur, il sait aussi être un prédateur, un destructeur. Je vis dans un système planétaire où les difficultés sont nombreuses: la surpopulation littorale, la pollution, celle notamment liée aux hydrocarbures, la destruction des coraux… mais il faut, après le constater, savoir avancer. Parfois ce sont les catastrophes qui vous obligent à vous surpasser!

Le monde sous-marin n’est pas ce monde du silence souvent évoqué ; il faut savoir l’écouter, entendre des sons insoupçonnés, se laisser étonner, se confronter à l’inconnu?

Complètement. Jacques-Yves Cousteau le savait mieux que quiconque. Le titre de son documentaire était, à l’époque, emblématique voir provocateur. L’océan, c’est le monde des bruits, des sensations, des vibrations… un espace en trois dimensions, immense, à l’origine du vivant, où se côtoient l’infiniment petit et l’infiniment grand, où des millions d’espèces et leur mode de vie sont à découvrir… un univers incroyable!

Vous aimez rappeler que de l’océan naîtra le destin des civilisations à venir ; Jacques-Yves Cousteau évoquait le droit des générations futures: ce sont pour elles que vous continuez à imaginer de nouveaux projets?

Oui. C’est la raison pour laquelle, avec ma Fondation, nous organisons un concours et décernons des prix, dans différentes catégories, pour offrir aux jeunes générations les moyens d’agir et bâtir un cadre de vie valorisant les richesses de la planète. Cette année, ce sont quelques 1700 dossiers déposés par des jeunes passionnés qui dessinent le monde de demain: c’est un formidable message d’espoir!

Pensez-vous que le monde pourrait être, demain, davantage mérien que terrien?

Oui. Si nous considérons le monde dans une nouvelle globalité et à travers une nouvelle pensée intégrant mieux les océans qui sont une source d’innovations et de solutions pour la planète et dont l’immense potentiel nous offre des opportunités pour vivre mieux. Je fais partie de la Blue Society, une Alliance regroupant des individus et des organisations qui pensent que certaines solutions aux problèmes économiques et écologiques de notre planète se trouvent, en partie, au cœur de l’Océan. Une infinité de choses reste à imaginer, un autre futur est possible, à nous de l’inventer en gardant le sens des réalités et des responsabilités!

Propos recueillis par Alexandre Mollard

www.fondation-jacques-rougerie.com

Images

Maison sous-marine et observatoire subaquatique

©J.Rougerie Architecte

Vaisseau spatial de la mer

©J.Rougerie Architecte

SeaOrbiter Vaisseau spatial de la mer

©J.Rougerie Architecte

SeaOrbiter

©J.Rougerie Architecte

Lauréat du concours international 2006 Musée d'Archéologie sous-marin d'Alexandrie- Egypte.

©J.Rougerie Architecte

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