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- Bien-être & santé -

Dr Goranka TANACKOVIC

« L’AUTHENTICITÉ D’UNE PERSONNE NE SE RÉSUME PAS À SON PATRIMOINE GÉNÉTIQUE »

Connaître son génome relevait il y a peu encore de la science-fiction. Les progrès ont été fulgurants et on peut imaginer que dans un avenir proche, chacun aura accès à tout ou partie de ses informations personnelles. Généticienne et biologiste, diplômée des universités de Zagreb et de Genève, le Dr Goranka Tanackovic est une experte de l’analyse génétique et dirige Gene Predictis, une start-up pionnière de la médecine préventive personnalisée, hébergée au Parc d’innovation de l’EPFL à Lausanne.

Sur quoi se basent les tests génétiques de Gene Predictis ?
Du point de vue génétique, les humains sont semblables à 99,9 %. Nous nous intéressons au reste, à ces différences génétiques qui nous rendent uniques, les « variants génétiques ». Les tests que nous pratiquons visent à connaître les spécificités individuelles qui font que nous sommes inégaux face à certains risques ou différents dans nos réactions à certains produits ou aliments.

Quels types de tests génétiques sont proposés actuellement par Gene Predictis ?
Actuellement, la plus grande partie de nos activités est centrée sur l’optimisation des traitements médicamenteux. Notre test Cypass® permet d’évaluer la réponse de chacun quant à l’efficacité des médicaments, le risque d’effets secondaires et la manière dont ils seront éliminés. Pour produire des effets, les médicaments sont, pour la plupart, transformés dans notre corps en empruntant différentes voies métaboliques, que l’on pourrait comparer à des routes. Même si ces routes suivent le même tracé, elles peuvent être plus ou moins rapides ou plus ou moins encombrées selon les personnes. Certains médicaments arrivent plus vite que d’autres à destination et avec moins d’effets indésirables. En étudiant près de 100 variants génétiques personnels, nous pouvons évaluer la façon dont un individu métabolise un médicament, quelle voie est la plus rapide et la plus sûre pour lui, donc quel type de traitement est le mieux adapté. Nous dressons ainsi une sorte de carte d’identité personnelle. Grâce à ces informations, le médecin peut orienter sa prescription vers les médicaments auxquels un organisme répondra le mieux, en minimisant les effets secondaires et en tenant compte d’éventuelles interactions avec un autre traitement déjà en place. Dans le même esprit, notre test Pill Protect® évalue le risque individuel d’une femme sous pilule d’avoir une thrombose, risque majeur de la contraception, mais aussi des traitements de la ménopause ou encore pendant la période post-partum. Ce test est le premier développé spécifiquement pour mesurer le risque de thrombose lié à la pilule contraceptive. Il a été validé dans une étude clinique incluant 1600 femmes. Il complète scientifiquement le questionnaire classique d’un gynécologue au moment de prescrire un moyen de contraception. L’étude clinique a montré qu’il détecte plus de 6 fois plus de femmes à risque que le questionnaire classique.

Comment se déroulent les tests et qui les prescrit, des médecins seulement ou bien les particuliers peuvent-ils y avoir accès directement ?
Dans un souci d’éthique, nous travaillons exclusivement avec des professionnels, des médecins, des hôpitaux ou des cliniques. Nous nous considérons comme un partenaire qui leur apporte un éclairage complémentaire, mais ils restent les interlocuteurs privilégiés des patients avec la vision globale de chacun. Il faut d’ailleurs rappeler que la loi suisse interdit de proposer des tests génétiques médicaux directement au patient. Nos tests génétiques sont valables toute la vie, ils s’effectuent sur des échantillons d’ADN extraits de sang ou de frottis buccaux. Les résultats font l’objet d’un rapport complet envoyé au médecin prescripteur qui les explique au patient. Les résultats du test Cypass® sont en plus synthétisés sur un support anonyme et confidentiel format carte de crédit, que le patient peut garder sur lui, de la même manière que sa carte de groupe sanguin, et utiliser lors de consultations médicales ou des prescriptions futures.

Quels sont les objectifs concrets de ces tests ?
Là encore, nous respectons un code d’éthique rigoureux. Nos analyses se concentrent sur des pathologies pour lesquelles il existe une stratégie de réponse, qu’il s’agisse de prévention ou de traitement. Nous sommes délibérément orientés vers des solutions. Exemple, nous savons mesurer la prédisposition d’un individu à certaines maladies, comme le glaucome exfoliatif ou la DMLA avant que les premiers symptômes n’apparaissent. Dans le cas du glaucome, il existe un traitement chirurgical préventif qui va éviter le déclenchement de la pathologie. Pour les pathologies cardiovasculaires, nos tests nutrigénétiques peuvent servir de base à un changement de style de vie en cas de risque avéré.

En quoi consistent les tests nutrigénétiques ?
Ils permettent d’adopter une nutrition en accord avec nos gènes. Ils évaluent le risque de développer une intolérance alimentaire ou la capacité de métabolisation de certains nutriments, comme le gluten, le lactose, mais aussi la caféine ou l’alcool. Par exemple, le test génétique évaluant le risque de développer une intolérance au gluten est une excellente manière de valider le diagnostic. On peut exclure cette intolérance de façon certaine si les résultats sont négatifs, ce que ne permet pas un test sérologique seul. Au contraire, si le test du gluten met en lumière une prédisposition à l’intolérance, alors une biopsie de l’intestin pourra éventuellement confirmer la maladie cœliaque. C’est donc une première étape du diagnostic. Les tests nutrigénétiques aident le médecin ou le nutritionniste à élaborer un régime adapté, sans privations inutiles, qu’il s’agisse d’hypercholestéromie, de folates ou de carence en vitamine D ou B12. Dans le cas d’insomnies chroniques ou de tachycardie, la manière de métaboliser la caféine peut apporter une confirmation scientifique. Dans le domaine du lifestyle, nos tests génétiques peuvent dire si quelqu’un est plutôt prédisposé au sport d’endurance ou à l’effort intense, mesurer son risque de blessure ligamentaire par exemple… Des informations utiles pour optimiser les entraînements. Du better-aging à l’ostéoporose, le champ d’applications est immense.

Ces avancées peuvent tout changer dans le traitement de pathologies graves comme le cancer. Expliquez-nous comment.
Certaines mutations génétiques sont à l’origine de certains cancers. Dans un contexte familial à risque, des tests génétiques peuvent confirmer la présence ou non d’une mutation précise chez une personne et permettre si nécessaire un traitement préventif ou un suivi plus strict. Prenons l’exemple du cancer du sein avec mutation d’un des gènes BRCA, dont on a beaucoup parlé avec le cas d’Angelina Jolie. Les mutations de ces gènes sont relativement rares dans la population générale, cependant, elles sont présentes chez environ 10 % des femmes qui ont la forme familiale de cancer du sein. Donc, dans les familles à risque, le test a un grand intérêt et peut être utilisé après concertation avec les médecins. Dans les autres cas, l’intérêt du test isolé est très limité.

Pensez-vous qu’il faut absolument savoir qui on est génétiquement, connaître les risques et vivre avec cette sorte de déterminisme qui peut être angoissant ?
Chacun a sa liberté de connaître ou pas les résultats de ses tests génétiques. Si le patient ne souhaite pas savoir, le résultat peut être communiqué exclusivement à son médecin, qui prendra une décision médicale éclairée, sans dévoiler les résultats génétiques. Je pense qu’il est très important de respecter les choix personnels, en particulier dans les cas de familles présentant certains risques génétiques. Ainsi, tous les membres de la famille n’ont pas forcément envie d’être informés. Mais globalement, il est intéressant de connaître les risques quand on peut changer les choses…

Au final, la connaissance de nos prédispositions génétiques nous donne la responsabilité de gérer au mieux ce capital de départ et nous donne donc un espace de liberté ?
Oui, je considère que le profil génétique est un joker, à chacun de gérer ses données de départ en prenant les bonnes décisions, en termes d’alimentation, d’activité physique… Tout n’est pas déterminé, nous avons tous la possibilité d’enrichir et de faire fructifier notre capital en adaptant notre mode de vie. D’ailleurs, l’expérience prouve que les personnes qui connaissent leur état suivent mieux les consignes de leur médecin.

Peut-il y avoir des dérives ? Comment analyser seulement certains aspects génétiques quand on peut voir tout le reste ? Pensez-vous que ces tests vont se cantonner à la prévention sans jamais envisager des optimisations de l’humain ?
Chez Gene Predictis, nous avons une éthique, nous analysons ce qu’a demandé le médecin et rien d’autre. Encore une fois, aucun intérêt de déceler quelque chose pour lequel nous n’avons pas à ce jour de solution. Les thérapies géniques avancent mais elles sont encore loin d’être performantes, nous sommes face à de nombreux challenges technologiques. Les essais de thérapies géniques sur la dystrophie de Duchenne ou la mucoviscidose par exemple, posent de nombreux problèmes non résolus. Quoi qu’il en soit, je suis convaincue que le rôle des sociétés est essentiel afin de définir un cadre légal à ces activités dès aujourd’hui. Des garde-fous sont absolument nécessaires pour garantir la liberté de chacun. Il faut travailler sur des codes éthiques internationaux pour savoir ce que l’on veut faire avec notre santé.

Comment définiriez-vous le lien entre patrimoine génétique et authenticité de l’individu ?
L’authenticité d’une personne ne se résume pas à son patrimoine génétique. Il faut intégrer l’influence de notre environnement, de nos relations sociales, de notre histoire personnelle, nos expériences de vie, nos valeurs. Je suis d’accord avec l’idée du Pr Proust, Médecin Directeur du Centre de Médecine Préventive Nescens de la Clinique de Génolier qui estime que l’inné représente 1/3 et notre mode de vie 2/3 de ce que nous sommes. L’humain est en mouvement dans une vaste dynamique, il avance et se construit au gré de ses aventures, cet aspect est le plus passionnant.




Propos recueillis par Anne-Marie Clerc

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