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- Interview -

Christophe Galfard

« Les scientifiques sont les personnes les plus AUDACIEUSES qui soient. »

Docteur en physique théorique, Christophe Galfard réalise une thèse sur les trous noirs à l’Université de Cambridge, sous la direction du célèbre ASTROPHYSICIEN Stephen Hawking. En 2015, le magazine « Lire » lui décerne le prix du meilleur livre de science de l’année pour son best seller « L’univers à portée de main ».

D’après le Petit Robert, l’audace est « la capacité à s’affranchir des limites, des règles et des convenances ». Est-elle compatible avec la rationalité du scientifique ?

On imagine souvent l’homme de science avançant selon une logique froide et  implacable, alors que c’est tout l’inverse. Certes, il y a des connaissances acquises, mais la physique théorique commence au-delà de ce que l’on sait, puisqu’elle vise la découverte de nouvelles lois. De quel autre outil que notre imaginaire et notre audace disposons-nous alors pour dépasser l’héritage de nos ancêtres ?

Cette image cartésienne nous vient peut-être de l’école, où la science est souvent déconnectée du réel ?

La science peut sembler ne pas promettre du rêve, de l’imaginaire, de la joie ou un avenir extraordinaire, et pourtant c’est tout cela ! A force de rester cloisonnée dans les salles de classes, elle ne semble être qu’instrument de sélection, privant ainsi les enfants (et les futurs adultes qu’ils deviendront) du bonheur d’éveiller leurs propres curiosités grâce aux outils de pensée dont nous disposons. La science n’est pas qu’un sujet d’école, c’est un héritage qui devrait appartenir à tous. Je me bats pour que cela soit le cas, notamment à travers les livres que j’écris.

Quand on s’ouvre à la science, on a parfois l’impression vertigineuse de découvrir un monde inconnu, qui pourtant est le nôtre…

Oui, c’est ce sentiment tellement agréable que j’essaie de susciter : l’envie de savoir, de comprendre, de réfléchir, de prendre du recul, d’envisager d’autres dimensions. Tout cela exige beaucoup d’audace. Mais la récompense est à la hauteur du voyage.

Quel est, selon vous, le scientifique le plus audacieux ?

Einstein est l’archétype de l’audacieux. Refusé de toutes les universités, il travaillait dans son coin, et transformait notre vision de l’univers. Personne ne le croyait ? Il poursuivait sa route. D’ailleurs il y a cent ans, il avait prédit l’existence d’ondes gravitationnelles ; des ondes se propageant à travers l’espace et le temps, les déformant à leurs passages. Tout le monde l’avait alors pris pour un fou. Ces ondes existent pourtant. Et leur détection directe a été annoncée le 11 février dernier.

Est il envisageable qu’un jour, un autre Einstein remette tout en question ?

Le concept de remise en question totale ne s’applique plus vraiment comme avant. Au temps des grecs, une théorie nouvelle pouvait contredire et effacer les précédentes, remettant d’une certaine manière les compteurs à zéro, parfois dans la douleur ! Il n’y avait pas vraiment de bases expérimentales sur lesquelles étaient construites les connaissances. Lorsque Copernic a dit que le soleil ne tournait pas autour de la terre, il a remis en question 2000 ans d’histoire. Quand Galilée a affirmé que la terre tournait sur elle-même, il a manqué d’être condamné à mort. Lorsque Giordano Bruno a annoncé qu’il existait probablement d’autres terres tournant autour d’autres soleils dans l’espace, il a fini sur le bûcher. Jusqu’à relativement récemment, la science était le support des idéologies. Aujourd’hui, les données expérimentales sont là. Une idée nouvelle se doit de ne pas être

Trous noirs, Univers, Stephen Hawkingen conflit avec ces données, sous peine d’être immédiatement invalidée. Il ne s‘agit plus de pure philosophie. Un nouvel Einstein nous permettra donc non pas de tout remettre en question, mais d’aller plus loin, peut-être en trouvant une nouvelle théorie qui englobera toutes les précédentes, éclairant ainsi les zones d’ombre auxquelles nous n’avons pas encore accès, découvrant de nouveaux mystères.

Vous avez réalisé une thèse sur les trous noirs, pourquoi fascinent-ils autant ?

Parce que ce sont les astres les plus extrêmes qui soient ! Ils sont l’inverse du vide et l’extrême de la densité. Sur terre, la gravitation nous empêche de nous envoler dans l’espace. Si notre planète était plus dense, elle nous attirerait plus fortement vers le bas. Sur le soleil, une personne de 70 kilos pèserait 2 tonnes et serait écrasée à la surface ! Un trou noir, c’est un astre si dense que, pour le quitter, il nous faudrait voyager à une vitesse plus grande que celle de la lumière, ce qui n’est pas possible… à moins que l’on prenne en compte le comportement étrange des particules du monde quantique. Les trous noirs sont à la frontière du monde du très grand et du tout petit. Ils sont une fenêtre (pour l’instant opaque) sur une théorie qui expliquerait à la fois la gravitation et la physique quantique, théorie que nous ne connaissons pas encore… Tout cela rend les trous noirs fascinants.

Qu’est ce qui vous a donné envie de faire  de la science votre vie ?

Je ne voyais rien de plus puissant (intellectuellement) que d’essayer de comprendre l’origine de notre univers. Et je trouve qu’il y a quelque chose d’apaisant dans le langage sans équivoque de la science, qui permet de voir des choses situées au-delà de nos sens, inaccessibles à nos corps.

Quand on voyage si loin dans l’univers, comment vit-on le quotidien ?

Les connaissances me donnent une profonde joie et une foi en l’humanité. Elles confirment qu’en nous mettant tous ensemble, nous pouvons
découvrir notre réalité, alimenter notre imaginaire collectif et vivre mieux. Enfant, quand on allume la lumière dans une pièce sombre et que l’on réalise qu’il n’y a pas de monstre caché, on est rassuré. De même, la science éclaire les zones d’ombre. Et cela fait du bien. Lorsque je regarde un ciel bleu, je suis capable de voir un ciel bleu. Mais si j’ai envie de voir autre chose, je peux aussi… La science ne plaque pas sur le monde des explications froides et antipoétiques. Au contraire, elle ajoute aux choses de la beauté et de la profondeur.

L’univers à portée de main - Éditions Flammarion - Juin 2015

Propos recueillis par Michèle Wouters

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