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L'art, nouvelle arme de séduction du luxe

‟L’art est un luxe”. Flaubert ne s’y est pas trompé. Cette liaison heureuse entre art et luxe, n’est pas née avec une tendance marketing, elle a toujours existé. Profondément ancrée, presque indissociable par essence. Aujourd’hui, le luxe abolit le mince écart qui existe entre les deux mondes et vient renforcer la désirabilité et le prestige d’un secteur considéré comme trop matérialiste. Avec l’art, le luxe s’offre-t-il un supplément d’âme ?

L’Artketing : quand le luxe invite l’art dans les stratégies marketing

Il y a une origine sacrée du luxe dans l’Egypte, la Grèce antique et en Mésopotamie, mais il faut remonter à la Renaissance pour s’apercevoir que l’art et le luxe sont intimement liés. Dans les deux mondes, des notions communes : créativité, esthétisme, plaisir, rareté et bien sûr valorisation des métiers d’art. Progressivement, l’art s’est invité dans l’industrie du luxe à travers tous les aspects du mix marketing et ses 4 P : Product (produits), Price (prix), Place (distribution), Promotion (communication). Christophe Rioux, professeur spécialiste du luxe et des industries créatives à Sciences Po et à la Sorbonne, a même théorisé ce phénomène en le nommant « Artketing », comprenez : le recourt à l’art pour soutenir des fins marketing.

Cet apanage s’illustre à travers des collaborations inédites quand de grands noms de la scène artistique réinterprètent un produit ou quand les produits eux-mêmes se voient estampillés d’une œuvre, théâtralisés, voire sacralisés dans les vitrines des musées, souvent valorisés dans des scénographies dignes des plus grandes expositions culturelles. De même, les grandes marques se font mécènes en liant leur nom à des fondations d’art contemporain. Une aura philanthropique comme vecteur identitaire ouvrant le champ à un plus large public. Oui, mais pourquoi cette intégration de l’art dans les stratégies marketing ? D’une part parce que les marques de luxe et les Maisons de couture incarnent une histoire, un savoir-faire et un « art de vivre » qui fait rêver. Mais aussi et surtout parce que l’art est une source fiable permettant d’injecter de la modernité, une valeur refuge, un réflecteur de nos émotions, un formidable booster de désirabilité. Cela se vérifie sur la perception et le regard que l’on porte sur un objet, la dimension patrimoniale ou artisanale liée à sa fabrication, à son histoire, qui en font une œuvre à part entière. De facto, les prix s’envolent et incitent davantage à l’achat, c’est ce que les spécialistes nomment l’effet « Veblen ». Que ce soit par sa valeur économique ou par la notion de rareté, l’objet devient à la fois un bien d’exception et un marqueur social. Liaison dangereuse ou parfaite osmose de la créativité et de l’argent ? Partisans et détracteurs y vont de leurs propres arguments. Néanmoins dans cette transversalité des univers, « les œuvres d’art n’ont jamais autant ressemblé à des produits de luxe, du fait de leur inaccessibilité, et les produits de luxe ne semblent jamais avoir autant été vendus comme des œuvres d’art », comme le souligne Christophe Rioux.

Collaborations arty

Les hybridations, inspirations, collaborations et hommages ne se font pas rares entre les mondes de l’art et du luxe. Remontons le fil, quand en 1937, Elsa Schiaparelli, précurseuse du genre, collabora avec Salvador Dali pour concevoir la Robe Homard. En 1965, Yves Saint Laurent, a popularisé le peintre néerlandais, l’un des pionniers de l’abstraction, grâce à la robe Mondrian. Autres exemples, quand en 2006 et 2012, Louis Vuitton invite l’art dans la scénographie de ses vitrines signées (Olafur Eliasson, Yayoi Kusama), ou à estampiller ses lignes de maroquinerie. se souvient notamment des sacs signés Jeff Koons, flanqués des chefs d’œuvres de Fragonard, van Gogh, de Vinci, Rubens ou encore de la personnalisation de certaines pièces réalisées par Stephen Sprouse en 2001 et Takashi Murakami en 2004. Montres, spiritueux, s’emparent aussi du phénomène bien loin d’être unilatéral. Ce n’est plus seulement l’art qui influence le luxe, mais le luxe qui influence l’art. Certains, comme Andy Warhol, s’en inspirent et immortalisent le flacon de parfum Chanel n°5. D’autres le tournent au ridicule, comme Tom Sachs et ses armes griffées Chanel ou Wim Delvoye et ses cochons tatoués du monogram Louis Vuitton. « Si les arts visuels ont été dominants, on observe cependant une évolution et l’on déborde vers les industries culturelles et créatives (l’édition, la danse, la musique ou encore le spectacle vivant). Ce sera certainement l’avenir », confie Christophe Rioux.

Le luxe comme grand mécène artistique et culturel

Outre les passerelles entre art et luxe qui émaillent ces collaborations, voilà que les marques s’enrôlent comme nouveaux mécènes, tels des Médicis du 21e siècle. L’art contemporain se voit ainsi porté par des fondations privées, des showroom dédiés, des rétrospectives d’artistes, et par la présence des marques aux plus grandes foires d’art internationales. Il y’a le pionnier comme Cartier, la Fondation d’entreprise Hermès qui soutient l’artisanat. Ceux qui offrent un écrin aux œuvres comme Vuitton et Prada. Les collections privées : Pinault à la Bourse de Commerce de Paris, celle de Pierre Bergé et Saint-Laurent exposée au Grand-Palais puis vendue aux enchères. Puis les Musées : Dior à Granville, Yves Saint Laurent à Marrakech ou Mobile Art à l’initiative de la Maison Chanel. Avec ces nouvelles institutions, les marques participent à la vie culturelle tout en créant du sens, de l’expérience, et deviennent fédératrices à la fois auprès de leur clientèle et aux yeux du grand public. Une formidable opération de communication mais aussi un placement financier juteux grâce à la loi Aillagon. Entre préservation du patrimoine, héritage, passion et investissement stratégique, l’art et le luxe n’ont pas fini de convoler en justes noces…

Par Stéphanie Laskar-Reich

christophe_rioux

Christophe Rioux (en collaboration), Le Luxe : essais sur la fabrique de l’ostentation, Éditions du Regard - Institut Français de la Mode, 2011

© L. Boegly

© M. Colombet

© Courtesy of Schiaparelli

© M. Colombet

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